décembre 2024

Ne laissons pas Bolloré et ses idées prendre le pouvoir sur nos librairies !

Engagement
Ne laissons pas Bolloré et ses idées prendre le pouvoir sur nos librairies ! - Les Modernes - librairie Grenoble
affiche Lucile Bienvenu

En cette fin d’année, dans nos librairies indépendantes, il sera peut-être moins évident de trouver certains livres. Ils ne seront pas mis en avant, ni sur table ni en vitrine, et peut-être même tout simplement absents. Et cela pour une raison, ils font partie des livres édités par les maisons du groupe Hachette et appartiennent donc maintenant à l’empire de Vincent Bolloré.

La puissance du groupe Bolloré est tentaculaire. Un pied dans la production des systèmes de contrôles des flux et de surveillance des populations, un autre dans l’industrie extractiviste, les énergies fossiles ou l’huile de palme en pillant l’Afrique et l’Asie. Expropriation des terres et dépossession de la valeur comme soubassement néocolonial au service d’une machine de propagande d’extrême droite. Cette entreprise de conquête hégémonique de nos imaginaires est désormais documentée : en rachetant médias, agences de communication, maisons d’édition, librairies et groupes publicitaires, le milliardaire breton s’est constitué un impressionnant outil de propagande réactionnaire. Contre toutes les avancées progressistes, son principe est de distiller racisme, sexisme et repli nationaliste, d’amener quotidiennement la peur de ce qui n’est pas assez blanc, assez riche, assez hétérosexuel, assez cisgenre. Pour faire arriver l’extrême droite au pouvoir, répéter continuellement la haine de l’autre et le refus de la différence. Tout cela est planifié et organisé. Pour riposter avant qu’il ne soit trop tard, une campagne d’actions, « Désarmer l’Empire Bolloré » a vu le jour en Juillet à l’appel de collectifs écologistes, décoloniaux, syndicaux, féministes et antifascistes. C’est dans ce cadre que cette tribune s’inscrit. Nous pensons que depuis notre place de libraires indépendants et d’employés en librairies, il est temps d’y prendre part.

Le rachat d’Hachette par le groupe Bolloré est une catastrophe pour l’édition et le monde du livre. Principal groupe éditorial français et premier distributeur de livres en Europe, Hachette est aussi une machine marketing bien rodée : à grands coups de publicité et de communication, pour lesquelles le groupe emploie tous les médias dont il dispose, le cynisme mercantile se met au service des plus sombres paniques morales, racistes, sexiste et transphobes. Derrière cela, la mission civilisationnelle d’un homme : Vincent Bolloré. Il a fait de l’ascession de l’extrême-droite au pouvoir son objectif, à tout prix. Le devenir du groupe Canal, d’Europe 1 et de CNews peut en témoigner. Il a transformé tous les médias acquis en tribunes pour les idées les plus rances, attisant la peur et la haine, licenciant massivement les équipes lorsque celles-ci osaient vouloir conserver leur liberté d’information. Dans le monde de l’édition, le basculement de la maison d’édition Fayard, qui vient de voir nommer à sa tête Lise Boell, l’éditrice d’Éric Zemmour, et sort en fanfare les livres de Jordan Bardella et de Philippe de Villiers, est en cours. Cela faisait quinze ans qu’on n’avait pas vu un livre du Rassemblement National en librairie : le monde de l’édition se refusait de produire des ouvrages d’un parti fondé par d’anciens nazis et toujours promoteur d’une fascisation de la société. Et maintenant, cela semblerait presque normal. Pour nous, ce n’est toujours pas admissible et nous tenons à le rappeler.

Plus que le livre de Bardella, c’est tout le système Bolloré qu’il faut pouvoir appréhender et faire chuter : un livre n’est pas qu’un texte imprimé, c’est toute une économie auquel il appartient. Tout autant que leur contenu, les modalités de fabrication et de circulation des textes ne sont pas neutres. Elles importent. Comme bien souvent, le pouvoir dans le livre est logistique. Le groupe Bolloré est également détenteur des points Relay présents dans toutes les gares du pays. Autant de postes avancés pour répandre la haine aux quatre coins de France. L’infrastructure est déjà en place et cela vient de commencer.

Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que toutes les auteurs et autrices qui publient chez Hachette sont d’extrême droite. Ni même celles et ceux qui y travaillent et y éditent. Il s’y trouve de nombreux textes qui nous sont chers. Néanmoins, le contexte nous impose de voir cette évidence : ces livres financent et arment, souvent bien malgré eux, une entreprise qui vise à nous détruire. Nos librairies sont parfois des lieux fragiles et ont beaucoup à perdre face aux assauts du capitalisme d’extrême droite. Vincent Bolloré lui-même se met à acheter des librairies. Un autre milliardaire réactionnaire, Pierre-Édouard Stérin, cherche à financer 500 librairies pour réaliser « l’union des droites », c’est-à-dire le ralliement à l’extrême-droite. Plus largement, la prédation des grands groupes contribue à asphyxier la pluralité éditoriale, la créativité littéraire et ainsi la survie des librairies qui se veulent être des espaces d’accueil de la diversité des voix et des vécus.

En juin dernier, dans une tribune de 125 librairies indépendantes antifascistes, nous prenions acte de la situation et nous voulions agir en conséquence : « Quelle que soit l’issue du vote du 7 juillet, la bataille des imaginaires continuera, elle sera probablement plus âpre encore, et nous comptons bien y prendre toute notre part. » La bataille des imaginaires a bel et bien lieu, et elle se joue aussi dans sa matérialité. À nous de la gagner !

Au jour le jour, l’indépendance des librairies se construit dans ses choix : les ouvrages présents et mis en avant. Mais elle s’affirme aussi dans ses refus. Le refus d’être l’outil de propagande des forces réactionnaires. Et plus prosaïquement, le refus d’être les petites mains receleuses et logistiques de ceux qui sont de tous les désastres.

Souvenons-nous de l’effroi de juin dernier quand l’extrême droite était aux portes du pouvoir. Rappelons-nous que la seule chose que nous avons obtenue est un sursis. Un sursis qui doit nous engager à les faire reculer par tous les moyens nécessaires. Et la résistance fonctionne : les syndicats de la SNCF et de la RATP ont lutté pour faire empêcher la campagne d’affichage de livre de Jordan Bardella dans les gares et stations de métro. La haine raciale n’a toujours pas sa place dans l’espace public, et les réseaux de sa diffusion sont toujours à combattre. Refuser la concentration du monde éditorial dans les mains de milliardaires réactionnaires est une affaire collective : de la part des librairies en sensibilisant sur les dynamiques monopolistiques, en ne mettant pas en avant tout ou partie des livres de ces groupes, en organisant des journées « sans Bolloré », voire, en le boycottant. De la part aussi des lecteurs et lectrices : il y a tant de choses à lire, tant de récits à découvrir : pour les fêtes, offrons-nous des livres de maisons d’éditions indépendantes.

Nous sommes déjà beaucoup à refuser Amazon et son monde. Nous sommes déjà nombreux et nombreuses à préférer nager dans le monde foisonnant de l’édition indépendante que dans celui, étriqué, des grandes campagnes de publicités. Conjurons, ici et maintenant, le monde qu’ils nous préparent. Organisons les nôtres. Pour des fêtes solidaires et engagées, Boycottons Bolloré !

contact : librairiesantifascistes@riseup.net